Espace Monique Lise Cohen
Archives de l’Organisation Juive de Combat
Histoire – Juifs et Résistance
Juifs et Résistance
LES JUIFS EN EUROPE
LA MONTEE DE L’ANTISEMITISME
LA FRANCE
LES PREMIERES REACTIONS DES JUIFS EN FRANCE
L’OPINION ET LES JUIFS
EN EUROPE ET DANS LE MONDE
DEPORTATIONS
LE TEMPS DE LA CLANDESTINITE ET DE L’ACTION MILITAIRE EN FRANCE
LES RESEAUX DE SAUVETAGE
REFLEXION SUR UNE TYPOLOGIE
LE TEMPS DE LA CLANDESTINITE ET DE L’ACTION MILITAIRE EN EUROPE
SAUVER LA MEMOIRE : ECRIRE POUR INVENTER LE FUTUR
LES JUIFS DANS LES ARMEES DE LIBERATION
LES JUIFS ET L’IDEE EUROPEENNE
BIBLIOGRAPHIE
- LES JUIFS EN EUROPE
- LA MONTEE DE L'ANTISEMITISME
- LA FRANCE
- PREMIERES REACTIONS DES JUIFS EN FR
- L'OPINION ET LES JUIFS
- EN EUROPE ET DANS LE MONDE
- DEPORTATIONS
- CLANDESTINITE, ACTION MILITAIRE
- LES RESEAUX DE SAUVETAGE
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- CLANDESTINITE ET ACTION MILITAIRE EN EUROPE
- SAUVER LA MEMOIRE : ECRIRE POUR INVENTER LE FUTUR
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- BIBLIOGRAPHIE
«Ce peuple à qui le monde gréco-romain avait reproché d’être nationaliste dans une société cosmopolite et que le monde moderne accuse d’être cosmopolite dans une société nationaliste.»
Herbert Bentwich, The Future of the Land of Promise
Pour huit siècles environ, et depuis l’an mille, l’Europe a été le principal centre de créativité juive. Comment raconter cette histoire qui fut liée à tous les bouleversements de notre civilisation ? Il est possible d’en faire le récit et l’analyse simplement du point de vue des persécutions. Les Juifs furent ainsi les victimes de l’antijudaïsme de l’Eglise aux temps du Moyen Age. Ils étaient relégués dans la marginalité et la passivité en l’attente de leur conversion finale. A l’époque de la Renaissance, ils furent expulsés ou condamnés à se convertir par les états nations qui se constituaient. Beaucoup s’exilèrent vers le Nord, l’Est ou le Sud de l’Europe ou encore vers la Turquie, l’Afrique du Nord et l’ancienne terre des Hébreux où ils fondèrent de hautes écoles de Cabale. La Révolution française permit leur intégration dans la nation et assura leur existence civile et publique, selon la doctrine de l’émancipation inspirée par l’idée d’une humanité unifiée et pacifiée où l’individu doit pouvoir s’affirmer. Par la suite les guerres napoléoniennes étendirent à toute l’Europe les principes de l’émancipation des Juifs. Ce fut la troisième génération émancipée qui fit en France et en Europe l’expérience douloureuse de l’antisémitisme (différent de l’antijudaïsme traditionnel de l’Eglise) et dont la propagation s’acheva dans la folie meurtrière de la Seconde Guerre mondiale.
Entre 1880 et 1914, environ deux millions de Juifs quittèrent les pays de l’Est de l’Europe pour le Nouveau Monde. Les Etats-Unis allaient ainsi devenir le premier pays pour l’installation des Juifs. La Première Guerre mondiale et la Révolution bolchevique furent l’occasion d’un éclatement de la population juive mondiale. Beaucoup s’installèrent alors en Amérique du Sud et dans la Palestine sous mandat britannique à la faveur de la Déclaration Balfour. Avant la Deuxième Guerre mondiale, il y avait en Europe 9.534.880 Juifs sur une population de 379.554.000 personnes. En 1946, sur une population européenne de 540.282.000 personnes, on ne comptait plus que 3.642.100 Juifs. Près de six millions de Juifs avaient été assassinés pendant la guerre ; les plus grandes communautés d’Europe, Vienne, Berlin, Varsovie, Lodz avaient été dévastées ; plusieurs pays comme la Pologne, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie ou la Hollande avaient perdu toutes leurs communautés juives ; les grandes écoles talmudiques de l’Est de l’Europe avaient été détruites ainsi que les centres de culture séfarade dans les Balkans.
Les Juifs furent longtemps considérés comme les personnages passifs d’une histoire faite et écrite par d’autres. L’existence juive a cependant toujours accompagné toute l’évolution et les transformations de l’Europe. Au Moyen Age, les Juifs furent un lien entre l’Orient et l’Occident ; à l’époque de leur existence comme marranes, ils contribuèrent à l’édification du monde moderne, et depuis l’émancipation, ils s’illustrèrent dans tous les domaines de l’activité humaine.
De quelle obscurité, ce peuple dispersé parmi les nations du monde, tire-t-il la simplicité de son existence malgré les tentatives de conversion, d’annihilation dans l’universel et d’extermination ? Si les Juifs ont su « résister » aux entreprises de conversion ou d’assimilation, la tragédie de la dernière guerre révèle d’autres enjeux. Il n’était alors question que de périr ou de survivre. Le nazisme voulait imposer son régime totalitaire et féroce à une Europe sans Juifs, et l’entrée des Juifs en résistance fut précoce, importante et très diversifiée. La place des Juifs dans la Résistance révèle-t-elle quelque chose d’inédit dans l’écriture de l’histoire européenne ? Considérés jusque-là comme des objets passifs de l’histoire, ils apparurent comme capables d’agir et de maîtriser leur destin. Mais est-ce bien dans ces termes, ceux de l’action et de la passion, que l’histoire juive peut s’écrire ? Quelles ont été les spécificités de la résistance des Juifs ? Quelle mémoire avons-nous de ce combat et quel en est aujourd’hui l’héritage dans la construction de l’Europe.
Que sont les « années 30 » ? Le fascisme s’installe en Italie et Mussolini emprisonne Gramsci ; Hitler est victorieux en Allemagne et le nazisme entreprend son œuvre de mort ; enfin Staline a fini de décimer la vieille garde léniniste et s’est débarrassé de Trotsky, Zinoviev et Boukharine. Que s’est-il passé ? Les analyses en termes de « crise » économique et sociale ne sont pas suffisantes pour exprimer cette réalité, car il faut bien voir que tout le système libéral européen avec ses principes de moralité et sa conception de la loi ‘est effondré. La culture libérale en Europe avait promu l’image d’un homme rationnel, maître de la nature par la science et de lui-même par l’éthique. Cet homme de raison s’efface devant un individu plus inquiétant, changeant, imprévisible et irrationnel. « La nature de notre époque est la multiplicité et l’irrésolution » avait dit le poète autrichien Hugo von Hofmannstahl. La pensée de la totalité s’est fissurée et les limites se dissolvent.
Une caractéristique majeure de ces bouleversements est la montée d’un antisémitisme à la fois populaire et d’Etat, d’une violence et d’une férocité inouïes.
Hannah Arendt date l’apogée de l’antisémitisme au XIXème siècle de l’effondrement des Etats-Nations en Europe, et elle notait que vers la fin de ce siècle, les premiers partis à nouer des relations internationales furent les partis antisémites. Cet antisémitisme populaire et international connut son achèvement au XXème siècle avec le nazisme et le stalinisme. Si les « thèmes » de l’antisémitisme avaient pour une certaine part été portés dans le viel antijudaïsme de l’Eglise et les premières poussées des doctrines racistes et antisémites au XIXème siècle, il faut cependant relever la différence essentielle avec le nazisme. L’antijudaïsme chrétien considérait l’existence juive comme sacrée et faisant partie du projet divin. L’antisémitisme racial né dans la période des Temps modernes et qui trouve son expression au XIXème siècle n’était pas encore porté par un mouvement de type populaire. L’antisémitisme effroyable du XXème siècle voulut une Europe sans Juifs et considérait que son propre pouvoir était lié à cet anéantissement : rendre le peuple allemand complice d’un si grand crime que le Reich pourrait durer mille ans !
Comme si l’idée d’une Europe sans Juifs s’identifiait à l’effondrement des valeurs morales et de l’idée de la loi, comme si cet effondrement était aussi la condition de la divinisation du führer ; Ainsi l’antisémitisme se coulait dans les forces des profondeurs, dans le refus de l’idée de la loi et e la différence entre Dieu et la création ! ‘Est ce que le pape Pie XI avait si clairement condamné en 1937, dans son Encyclique : Mit brennender Sorge.
Entre 1930 et 1939, écrit V.Ermosilla, quantité de publications antisémites diffusent dans les mentalités les stéréotypes les plus méprisants à l’égard de «la race juive» dont le modèle en la matière reste La France juive de Drumont paru en 1886. Beaucoup d’intellectuels français, comme Bernanos, tiennent à se situer dans cette filiation. L’existence juive est considérée comme un péril pour la patrie ou encore une « maladie » pour la nation. Les Juifs sont accusés de fomenter un complot international contre toutes les nations du monde.
Mais c’est alors que naît et se développe également un courant philosémite et chrétien autour du journaliste Oscar de Ferenzy et du philosophe Jacques Maritain. Le père Joseph Bonsirven, théologien jésuite, s’efforce de faire connaître le judaïsme et de favoriser face à l’imminence des périls, le rapprochement judéo-chrétien. Cette oeuvre avait déjà été entreprise autour de la rencontre essentielle pour notre monde d’aujourd’hui, entre Aimé Pallière, chrétien épris profondément du judaïsme, et le grand cabaliste de Libourne, Elie Benamozegh. Leur dialogue porta sur la nécessaire actualité d’une religion universelle appelée dans les textes rabbiniques : religion nohachide ou religion des fils de Noé, fondée non plus sur l’idée de la conversion des Juifs, mais sur le lien nécessaire et vivant entre le judaïsme et les grandes religions du monde
Quelle était la situation des Juifs à cette époque en France ? En 1939, sur une population d’environ 320.000 personnes, 150.000 étaient des Juifs d’origine étrangère. Ils étaient venus après la Première Guerre mondiale, chassés par la misère, l’antisémitisme et la montée du nazisme. Ils travaillaient dans l’habillement, l’ameublement ou l’artisanat et ne représentaient que 5% des étrangers résidant alors en France. Minoritaire parmi les minorités, le Juif, écrit Renée Poznanski, devint cependant « l’étranger fantasmé ». Et pourtant remarque Annie Kriegel: « le processus de francisation des Juifs étrangers avec pleine adhésion de leur part au type d’assimilation personnelle que leur permettait les Lumières à la française, était depuis près de quatre vingts ans, continu et largement réussi». Le judaïsme français fidèle aux principes de l’intégration individuelle, refusait de se considérer comme une minorité. Il ne formait pas une micro société, et A.Kriegel explique ainsi que les Allemands ne purent imposer de ghetto à la population juive de France et que la résistance des Juifs en France connut grâce à son intégration dans la société civile, des spécificités remarquables : «habitués à se comporter en citoyens intégrés et assimilés, les Juifs français comprirent que leur sort dépendait non des seules décisions de l’Etat français, mais des attentes et réactions de la société française».
Roger Berg écrit que, dès la crise de Munich en 1938, des immigrés juifs proposèrent de se mettre au service de la France. Leur engagement fut proportionnellement le plus important parmi les trois millions d’immigrés qui se trouvaient alors en France : « La guerre avait un double sens (pour les Juifs) : la défense du sol national français et de la liberté du monde et aussi la lutte contre la guerre faite par Hitler aux Juifs ». Albert Cohen (in The Jews in the War, Londres, 1943) dit qu’il y eut 40 000 engagés volontaires juifs. La majorité d’entre eux, allemands et autrichiens furent envoyés à la Légion étrangère en Afrique du Nord. Selon une enquête de 1959 de l’Union des Engagés volontaires et Anciens Combattants juifs que cite Roger Berg, les Juifs représentaient plus de 50% des engagés dans les camps d’entraînement de Valbonne et Barcarès, dans les régiments étrangers d’infanterie et les régiments de marche des volontaires étrangers. Cette enquête, explique R. Berg, permet de supposer que le nombre de volontaires juifs enrôlés, combattants sur les divers fronts, en 1940 de Narvik au Liban, en Syrie ou en Afrique du Nord, et combattant en 1944-1945 sur les fronts d’Italie et d’Allemagne, dépasse largement les 20 000. Un nombre important de Juifs répondirent également à l’appel du général Sirkorski et combattirent dans les rangs de l’armée polonaise en France.
Le lundi 4 septembre 1939, Adam Rayski confirmant le refus du « Pacte germano-soviétique » par la majorité de la direction des communistes juifs, appelait les Juifs au combat, dans cet éditorial de laNaïe Presse (Presse Nouvelle) : « Maudit soit à jamais le nom : Adolphe Hitler ! L’hitlérisme, qui a commencé son existence et a cherché sa justification dans la persécution et l’assassinat des Juifs, cherche actuellement son salut dans un meurtre de masse, à l’échelle mondiale. Dans la mer de sang qu’il fera couler, il se noiera. Sous les ruines de ses destructions, il trouvera sa propre mort… Nous entrons dans la guerre aux côtés du peuple de France… »
Après la défaite de la Drôle de guerre, la France a investi Pétain des pleins pouvoirs, le 10 juillet 1940. Alors que le pays est partagé en deux zones : une dite « libre » au Sud et une occupée par les Allemands au Nord, le gouvernement de Vichy devançant les mesures allemandes, adopte le 3 octobre 1940, le premier statut des Juifs dont les critères sont alors plus draconiens que ceux établis par les Allemands en zone occupée. En zone nord, les Allemands imposent un recensement des populations juives. Partout l’étau se resserre sur les Juifs tant français qu’étrangers, qui dans leur grande majorité espèrent encore en une protection de plus en plus illusoire. En 1941 le carcan se referme encore plus : les Juifs de zone occupée subissent arrestations et déportations alors qu’en zone sud, le gouvernement renchérit en établissant un second statut des Juifs (juin 1941).
Un grand nombre de Juifs de France n’ont pas attendu les premières mesures discriminatoires pour faire le choix de la résistance. Aussi se trouvèrent-ils assez nombreux aux côtés du Général de Gaulle à Londres dès l’appel du 18 juin 1940. René Cassin fut présent aux premières heures, et il faut citer encore : Raymond Aron, Jacques Bingen, Pierre Dac, le Général Boris, Maurice Schumann Jean Pierre Bloch, Pierre Mendès-France, Albert Cohen, etc. D’autres choisirent plusieurs formes d’action : résistance spirituelle et sauvetage pour les E.I.F. qui estimaient que restaurer le judaïsme en temps d’interdit était un acte de réelle opposition ; organisation de l’entraide par le Centre Amelot à Paris, etc. Certains optèrent pour la résistance armée : c’est le cas des Juifs communistes déjà habitués à la clandestinité au sein des groupes M.O.I. ou le l’Armée Juive (A.J.) qui naît à Toulouse en octobre 1940 sous l’impulsion de Abraham Polonski et de Aaron-Lucien Lublin. Renée Poznanski cite la présence des Juifs à Londres, leur place parmi les fondateurs du réseau du Musée de l’Homme (publication pendant l’été 1940 du premier numéro du journal Résistance), la présence de trois Juifs pour la création du mouvement Libération en 1941 et la place de Robert Salomon parmi les fondateurs de Défense de la France (dont le journal parut en 1941).
Que savaient les Juifs du sort qui les attendaient ? Annie Kriegel explique que les Juifs en savaient très rapidement assez pour que joue à plein l’instinct de survie. C’est ce qui explique l’importance des mouvements d’aide et de solidarité conjuguant des moyens légaux et illégaux afin de protéger toute une population civile.
L’antisémitisme d’Etat favorise le développement d’une sorte de large « réflexion » antisémite dont l’objectif principal reste la manipulation des masses. Présenter des pamphlets ne suffit plus, il faut dérouler une analyse « raisonnée » du juif pour ancrer dans l’opinion un sentiment antisémite passionné. Pour ce faire, on utilise la presse, mais aussi le cinéma (Le Juif Süss ; Le Péril juif). Allant plus loin encore les Allemands créent en 1941 l’Institut d’études des questions juives qui utilise l’affiche pour rendre le juif plus odieux, et qui propose une grande eition au Palais Berlitz à Paris : « Le Juif et la France ». Si elle attire nombre de curieux, on constate cependant que l’antisémitisme racial a peu de prise sur la population. Le contre-pied de cette propagande de haine apparaît dans les écrits de la résistance spirituelle contre l’Allemagne nazie et les lois iniques de Vichy. Ainsi les Cahiers du Témoignage chrétien dénoncent vivement l’antisémitisme rappelant qu’il est aussi anti-chrétien.
Les protestants (800.000 en France) réagissent très tôt aux persécutions et certains rapports de préfets le soulignent avec vigueur. Mais il faut attendre 1941 pour enregistrer la première manifestation officielle d’émotion sous la plume du pasteur Marc Boegner. Les aides dans l’ombre aux internés des camps et aux réfugiés juifs se multiplient pourtant. Au moment des rafles du Vel d’Hiv (juillet 1942) et des rafles d’août 1942 en zone Sud, une structure (Amitié Chrétienne) existe déjà pour intensifier ce secours. Ces rafles font l’effet d’un électrochoc, réveillant les consciences, les alertant sur la nature réelle du péril encouru. Elles ont aussi provoqué une réaction indignée de certains membres courageux de la hiérarchie catholique. Du 23 août au 20 septembre 1942, cinq évêques se récrient publiquement : Monseigneur Saliège à Toulouse (le 23 août), Monseigneur Théas à Montauban (le 30 août), Monseigneur Gerlier à Lyon, Monseigneur Delay à Marseille (le 6 septembre), Monseigneur Moussaron à Albi (le 20 septembre). Les appels au « respect de la personne humaine » ont été lus en chaire, malgré les interdits préfectoraux et ont eu un réel impact sur l’opinion.
Dans une brochure Les Juifs face au nazisme, Henri Bulawko rappelle la Conférence d’Evian sur les réfugiés convoqués en 1938, à l’initiative du président Franklin Roosevelt où il ne se trouva pratiquement pas un pays pour accorder de visas à ceux qui pouvaient encore s’arracher à l’étau nazi.
La Grande-Bretagne refusa catégoriquement de remettre en question sa politique du Livre Blanc sur la Palestine : 100 000 certificats délivrés difficilement alors qu’il aurait fallu à ce moment sauver des centaines de milliers de Juifs allemands, autrichiens, puis tchécoslovaques et polonais. Pendant la guerre, écrit H.Bulawko, alors que les mesures répressives et les massacres gagnaient en ampleur, les démocratie pratiquèrent à l’égard des Juifs le même politique de «non-intervention» qui avait présidé à l’abandon de la République espagnole puis de la Tchécoslovaquie.
Le délégué à Londres du Judaïsme polonais, Arthur Zygelbojm, se suicida pour protester contre l’indifférence des hommes d’état auprès desquels il était venu, en vain, demander de l’aide.
A Alger, après le débarquement (7 novembre 1942), le Haut-Commandement américain se montra aussi fermé aux projets de sauvetage que son gouvernement lors de l’odyssée du « Saint-Louis », le dernier paquebot à avoir pu quitter Hambourg avec des réfugiés juifs qu’aucun pays d’Amérique du Sud, du Centre ou du Nord, ne voulut accueillir et qui revint en Europe.
Lord Moyne qui gouvernait la Palestine répondit aux délégués de l’Agence Juive qui lui présentaient la possibilité de sauver un million de Juifs : « Que voulez-vous que je fasse d’un million de Juifs ?».
Les Juifs qui n’avaient ni Etat, ni armée, ni représentants officiels furent abandonnés. En 1936 le leader américain Stephen Wise et le Dr Nahum Goldmann avaient créé le Congrès Juif mondial, en vue de rassembler le judaïsme face à la menace hitlérienne. Mais leurs moyens étaient dérisoires face au régime nazi que les Etats du monde n’avaient pas su affronter.
« Sur l’horloge de l’histoire, les aiguilles avancent plus vite pour les Juifs que pour les autres peuples. Le temps des autres n’est pas précisément le nôtre ».
Adam Rayski
Le 20 janvier 1942, lors de la Conférence de Wannsee, les nazis décrètent la mise en oeuvre de la « solution finale », c’est-à-dire l’extermination des Juifs. Dans la guerre générale, Hitler menait avec férocité et rapidité sa guerre contre les Juifs. Déjà dans toute l’Europe occupée, les nazis avaient mis en place un arsenal répressif généralisé sur le modèle des lois racistes de Nuremberg : exclusion, recensement, port distinctif de l’étoile jaune, regroupements ou ghettos et déportations. Dès la fin de l’année 1942, les 2/3 des Juifs polonais avaient été assassinés. Ce projet meurtrier qu’aucun document administratif ne nommait clairement – il fallait que le crime entraînât la complicité de tous dans le silence – s’est poursuivi pendant toute la guerre, drainant les millions de victimes vers les fosses d’exécution, les bagnes et les camps de la mort où les chambres à gaz et les fours crématoires ne cessèrent pas de fonctionner pendant toutes ces années. Le crime se perpétuait dans le silence, dans une sorte de conjonction tacite entre la volonté centrale de Hitler et les coopérations locales. Saül Friedlander cite des exemples où des SS. qui, tout à fait par exception, n’avaient pas accompli leur travail de bourreaux, ne furent pas pour autant sanctionnés. On peut déduire a contrario que la machine d’anéantissement marchait bien à tous les niveaux
Quelle pouvait être l’attitude des Juifs devant la réalité de l’extermination ? Car ce n’était pas des résistants armés qui étaient seuls menacés, mais toute une population civile vouée à l’anéantissement. Les Juifs avaient été abandonnés par les Etats européens en 1938 ; la Grande Bretagne avait établi un « Livre Blanc » qui limitait l’émigration en Palestine, les Etats-Unis délivraient peu de visas. L’Europe comme une immense prison était bouclée par la terreur nazie. La Suisse, Etat neutre, refoulait des milliers de réfugiés et une rare voie de sortie de l’Europe restait le passage par les Pyrénées et l’Espagne. Pour tous ceux qui étaient trop obscurs pour obtenir un visa ou étaient pris dans la nasse de la terreur à l’Est, que restait-il ? Soumission ou révolte ?
Renée Poznanski parle des « couples conceptuels infernaux qui rendent compte de ces deux perspectives : résistance / collaboration dans un cas, résistance / passivité dans l’autre cas ». Ces concepts fondateurs du discours occidental – action et passion – sont-ils vraiment opérants pour décrire cette réalité ? L’idée d’action est celle de la volonté du sujet libre, maître de lui-même et autonome. Le modèle politique qui l’accompagne est celui de l’insurrection. L’idée de passion est donc le contraire, décrivant un être qui a abdiqué sa volonté et qui est devenu l’objet d’une manipulation par autrui. Et pourtant d’autres approches philosophiques nous invitent à reconsidérer cette conceptualité ; en particulier l’oeuvre magistrale pour notre temps d’Emmanuel Lévinas qui fonde l’éthique sur l’idée de la responsabilité pour autrui. Responsabilité qui n’est pas celle du sujet libre et autonome, mais qui provient d’une passivité – celle de l’élection – antérieure à la volonté libre.
Nous pouvons nous demander comment être « actif » au sens insurrectionnel du terme quand toute une population civile est menacée de mort ? Comment des bébés, des enfants, des femmes enceintes, des malades ou des vieillards peuvent-ils prendre les armes ? Et encore comment des hommes et des femmes jeunes et valides capables de prendre les armes, pouvaient-ils en même temps abandonner leurs proches à une mort certaine ? Et puis encore où auraient-ils trouvé des armes ? Où les habitants d’un simple village juif dans la Pologne martyrisée auraient-ils trouvé des armes ? Et quand bien même ils en auraient trouvé, la défaite étaient assurée et toute la population vouée au massacre !
Un résistant non juif pouvait plus facilement rejoindre un groupe de partisans ou un maquis, mais un jeune juif, avant de faire la même démarche devait s’assurer que sa femme, ses enfants, ses parents, sa communauté pouvaient être cachés, trouver à manger, bénéficier de faux papiers, etc. Le sauvetage restait de façon générale, l’urgence première, même pour ceux qui avaient choisi la résistance « active ».
Les populations des pays occupés ne furent pas souvent bienveillantes, mais souvent indifférentes voire hostiles aux Juifs. Il y eut quand même des gestes magnifiques de solidarité, et la plupart des Juifs qui n’ont pas péri dans la tourmente l’ont souvent dû aussi à ces gestes de bonté et de fraternité de ceux que l’on nomme « les justes des nations ». L’aide aux Juifs nécessita parfois un très grand courage, si l’on songe par exemple qu’en Pologne, le 10 novembre 1941, le gouverneur allemand du district de Varsovie avait fait savoir que tous ceux qui donneraient sciemment asile aux Juifs ou qui les aideraient, seraient passibles de mort. Une telle menace ne pesait pas sur toutes les populations d’Europe, et les risques encourus pour avoir aidé les Juifs, étaient divers et en général bien moins graves qu’en Pologne. Et pourtant, il y eut aussi en Pologne, des gens qui secoururent des Juifs !
Le Rabbin R. Chekroun qui a dirigé un dossier sur la Shoah dans la revue Kountrass, écrit que les Juifs adoptèrent en fait trois sortes d’attitudes pendant l’Holocauste : soumission, résistance passive et révolte.
Que permettait la soumission ? Elle offrait « l’espoir que quelques-uns échapperaient au massacre (tous les responsables communautaires avaient conscience que le plus important était d’arriver à faire survivre de quoi reconstruire le peuple juif) ; la possibilité de vivre le plus longtemps possible, ce qui est à la fois le sentiment le plus simple et le premier des commandements ; l’avantage de mourir dans une toute relative sérénité et non au cours d’une action désespérée (de nombreux témoignages soulignent comment les parents calmaient doucement leurs enfants au bord des fosses d’exécution ; on pouvait éviter ainsi souffrances, peines et tortures inutiles) ; la possibilité d’avoir une sépulture, ce qui est très important dans la tradition (les Allemands faisaient creuser leurs propres tombes aux victimes qu’ils allaient assassiner).
La révolte présentait « le terrible risque d’entraîner la destruction totale du peuple juif, mais avait comme avantage : de ne pas donner sa vie à l’ennemi, ce qui est interdit puisqu’il y a commandement de conserver sa vie ; d’entraîner avec soi des ennemis dans la tombe car la Torah veut que les meurtriers soient punis. La révolte présentait aussi l’avantage de mourir en combattant l’ennemi, et mieux valait encore perdre le combat, fut-il désespéré, que de mourir en victime passive. Ce que la tradition religieuse justifie dans certains cas ». Les Juifs adoptèrent en fait trois sortes d’attitudes : «la soumission : l’exemple le plus frappant est sans doute celui de ces Juifs qui acceptaient de creuser eux-mêmes leurs tombes : la résistance passive : telle celle du Rabbin Y.M. Kanal de Varsovie qui, en 1942, refusa de monter dans le train pour Treblinka ou celle des Juifs du ghetto de Lodz qui, à sa liquidation, ne prirent certes pas les armes, mais ne se rendirent pas non plus au point de rassemblement fixé par les Allemands ; la résistance active, comme celle du ghetto de Varsovie». Mais dans les trois cas, conclut le Rabbin Chekroun, «il nous paraît évident qu’il y a un point commun : l’intelligence de l’action ».
Jusqu’en 1942 les groupes se structurent et définissent leurs objectifs :
– les E.I.F. (Eclaireurs israélites de France), sous couvert de légalité, intensifient leurs actions clandestines : faux papiers, filières de passage en zone sud ou vers l’Espagne et la suisse, planquage des Juifs étrangers plus menacés, utilisation des fermes rurales (ex : Lautrec) comme refuges.
– l’A.J. (Armée Juive) déploya son activité sur plusieurs fronts : les maquis ; les corps francs en ville ; les passages vers l’Espagne pour rejoindre les Forces alliées ; le sauvetage.
Le premier maquis de l’A.J. est installé le 15 novembre 1943 à Biques dans la montagne Noire (Tarn), puis il se déplaça vers Lacaune, à la Jasse de Martinou (mars 1944) et enfin vers Lespinassière (le 25 avril 1944). Evoluant avec une certaine autonomie jusqu’au 6 juin 1944, malgré les liens qui le rattachaient à la résistance générale du Tarn, il dut intégrer le Corps Franc de la Montagne Noire dès l’annonce du débarquement. Dans le C.F.M.N. fort de 800 maquisards, il constitua le « peloton israélite » dont le commandement fut confié au lieutenant Leblond de l’A.J. On le connaissait sous le nom de « maquis Bleu-Blanc » ou « peloton Trumpeldor ».
Les E.I.F. choisirent aussi la route du maquis. Les chantiers ruraux établis jusqu’alors pouvaient être considérés comme de véritables pépinières de résistance (notamment celui de Lautrec) ; ils furent dissous le 22 février 1943. Les E.I.F. décidèrent alors de créer un maquis dans le Tarn. Parce qu’ils avaient eu des contacts avec les Monts de Lacaune, ils créèrent leur premier maquis à La Malquière en décembre 1943. Ils s’installèrent ensuite à La Roque (mars 1944) et à Lacado (avril 1944). Ce maquis juif n’était pas réellement autonome. Ses contacts avec la résistance locale aboutirent à une intégration dans la compagnie juive rebaptisée Compagnie Marc Haguenau, dans les Corps Francs de la Libération du Tarn placés dès juin 1944 sous l’autorité de Pierre Dunoyer de Segonzac.
Ces deux maquis E.I.F. et A.J. participèrent courageusement au combat de la libération nationale. Ils se voulaient intégrés à la résistance générale, tout en mettant en valeur leur judéidé (ex : couleurs bleu-blanc pour le maquis Trumpledor ; chants en yiddish pour le maquis Marc Haguenau).
Les corps francs dans les villes ont été organisés par l’A.J. pour démanteler les réseaux de dénonciateurs qui travaillaient pour la gestapo. On en trouvait dans toutes les grandes villes : Paris, Lyon, Grenoble, Marseille, Limoges, Chambon, Nice, Toulouse.
Quant au passage vers l’Espagne, il devait permettre aux jeunes de rejoindre les Forces Alliées dans la Brigade juive de Palestine.
Les Juifs communistes, militants de la M.O.I. jouèrent un rôle important et particulièrement à Toulouse : information sur la Shoah, spécialisation dans le « Travail Allemand », c’est-à-dire la propagande antinazie auprès de l’armée d’occupation. La « 35ème Brigade FTP-MOI » fit de nombreux attentats à Toulouse. Leur chef Marcel Langer fut guillotiné le 23 juillet 1943. L’avocat général, Lespinasse, qui avait requis la peine de mort contre lui, tomba le 10 octobre 1943 sous les coups de la 35ème Brigade Marcel Langer. La Brigade organisa de nouveaux attentats à Toulouse contre un tramway transportant des allemands, contre le cinéma Les Variétés où malheureusement trois membres de la Brigade furent atteints par l’explosif. Tous les militants furent arrêtés en avril 1944. Avaient-ils été abandonnés ?
Alors que les rafles se multiplient et que la persécution s’étend, le sauvetage des Juifs s’organise. Beaucoup de personnes juives et non juives y ont participé, et les activités du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), dans les Cévennes protestantes, témoignent de la force de l’opposition des chrétiens à la barbarie vichyste et nazie.
Avec l’occupation totale du pays (automne 1942), l’émigration légale s’arrêta définitivement et les Juifs cherchèrent à quitter le pays par des voies illégales vers la Suisse ou vers l’Espagne. La première filière de la C.I.M.A.D.E. vers la Suisse fut mise au point fin 1942 par Geneviève Pittet, avec l’aide du pasteur Chapal d’Annecy et de l’Abbé Folliet, aumônier de la J.O.C. Les filles de la C.I.M.A.D.E. fabriquaient elles-mêmes les faux papiers pour le déplacement.
Au mois d’août 1942, des milliers de Juifs étrangers furent déportés des camps de la zone sud vers une « destination inconnue », et les enfants furent menacés de la déportation. Les organisations de sauvetage envisagèrent alors le placement clandestin des enfants. Georges Garel organisa un réseau parallèle, et Renée Poznanski note que cela fut possible parce que « la société française et en particulier les milieux ecclésiastiques avaient offerts une alternative aux maisons d’enfants ». A Venissieux, près de 90 enfants furent sauvés et dispersés grâce à l’aide de l’Amitié chrétienne et la protection du cardinal Gerlier. Renée Poznanski cite par exemple un tract distribué à l’époque de ce sauvetage : « Vous n’aurez pas les enfants ».
Des organisations juives prennent en main ce sauvetage qui devient un impératif absolu et surtout pour protéger les enfants. De nombreuses organisations vont s’en charger : O.S.E. (Oeuvre de Secours aux Enfants), O.R.T. (Organisation Reconstruction Travail), E.I.F. (Eclaireurs Israélites de France). Ainsi les E.I.F. Essaient d’organiser des passages vers la Suisse dès juin 42, de même que le M.J.S. (Mouvement de jeunesse Sioniste) et l’O.S.E. qui intensifient le mouvement dès avril 43. Deux personnes prennent particulièrement la responsabilité de ces voyages : Emmanuel Racine et Georges Longer. Entre avril et octobre 1943, on compte 2 ou 3 passages à chaque fois. Certains ont tourné au drame. Le 21 octobre 1943, un convoi dirigé par Roland Epstein et Mila Racine, membre du M.J.S., est arrêté par une patrouille allemande. Les enfants et leurs accompagnateurs sont transférés à Drancy et déportés.
Le 31 mai 1944, un autre convoi de 28 enfants mené par Marianne Cohn est intercepté. Marianne Cohn refuse de s’évader lorsque son frère Emmanuel arrive à le lui proposer, car elle veut rester auprès des enfants pour les protéger. Les Allemands l’assassinèrent sauvagement, mais les enfants purent sortir grâce à l’habileté et au dévouement du maire d’Annemasse, M.Deffaugt.
Ce ne sont là que deux exemples d’une activité qui se développait d’autant plus vite, malgré les dangers qu’elle représentait, que la pression des Allemands se faisait plus périlleuse. Le sauvetage d’enfants passe donc, fin 1943, presque complètement dans la clandestinité. Les homes d’enfants de l’O.S.E. se ferment un à un. L’O.S.E. qui avait agi dans le cadre de l’U.G.I.F. doit donc s’en séparer, en avril 1944, après plusieurs arrestations.
Renée Poznanski écrit : « Cette action qui a commencé par la prise en charge des enfants juifs abandonnés, s’est poursuivie par la libération des camps d’internement et a abouti à leur sauvetage clandestin, a permis de sauver entre 7500 et 9000 enfants ».
Les passages vers l’Espagne se multiplient aussi. A partir d’avril 1943, l’A.J. s’en occupe depuis Toulouse. Le but semble clair : permettre à des jeunes d’arriver en Palestine pour réaliser leur idéal sioniste et rejoindre les Forces armées juives qui combattent l’Allemagne.
Les organisations comme les E.I.F., le M.J.S., la Fédération de l’O.S.E. et le Bund considèrent donc que le rôle de la résistance juive doit d’abord être celui d’organiser le sauvetage. L’A.J. dont la finalité première est et reste la lutte armée, s’est aussi focalisée sur le sauvetage. Combat et sauvetage sont complémentaires pour les Juifs : sauver les enfants, c’est résister à l’entreprise nazie qui tentait de faire disparaître complètement le peuple juif.
Le C.D.J.C. (Centre de Documentation Juive Contemporaine) a réédité sous ce titre L’Activité des organisations juives en France sous l’Occupation, les comptes rendus d’activité des principale organisations juives pendant les années 1940-1944 : le Joint, le Consistoire Central, le Comité d’Assistance aux réfugiés (C.A.R.), les Eclaireurs israélites de Fance (E.I.F.), la Fédération des Sociétés Juives de France, la H.I.C.EM, l’O.R.T., l’Oeuvre de Secours aux Enfants (O.S.E.), les organisations sionistes (Keren Kayemeth, Keren Hayessod, mouvement de jeunesses sionistes, Organisation Juive de Combat (O.J.C.), W.I.Z.O. (Organisation internationale des Femmes Sionistes), les Comité « Rue Amelot », le Service d’Evacuation et de Regroupement (S.E.R.)… et même l’Union Générale des Israélites de France (U.G.I.F.)
Annie Kriegel évoque David Knout qui publia en 1947 le premier livre consacré à la Résistance juive : « Il établissait une typologie des formes de résistance en distinguant : la lutte armée, l’action sociale, le travail d’assistance, la propagande et la résistance morale ». Si les Alliés et les mouvements de résistance visaient à la victoire contre l’Allemagne nazie, les Juifs étaient confrontés à un autre problème. Dans la guerre générale contre les nations du monde, Hitler menait sa guerre contre les Juifs. Et cette guerre-là allait plus vite que l’autre. D’où «la différence de nature, écrit A.Kriegel, entre la résistance en général, partie intégrante des forces armées engagées dans la plus globale des guerres en cours et la résistance juive : la première visait à la victoire, la seconde à la survie». Pour ce qui est de la France, 300 000 personnes étaient menacées de mort. Comment faire survivre et essayer de sauver toute une population civile ? Cela nécessite « une combinaison complexe et changeante de recours légaux et illégaux, de statuts intermédiaires, ambigus… L’une des preuves les plus convaincantes de ce que la clandestinité n’était pas une condition sine qua non, c’est qu’à la différence de la Résistance française classique, la Résistance juive fut de bout en bout animée, non par des organisations ad hoc, créées pour les besoins du moment, mais par les organisations traditionnelles – consistoriales, scoutes, bundistes, communistes, philanthropiques – qui existaient de longue date ou qui étaient l’émanation d’organisations existant de longue date. La seule structure vraiment nouvelle, ce fut… l’U.G.I.F. ». Il n’est pas possible de comparer non plus ce que fut l’U.G.I.F. aux Judenräte que les Allemands voulurent instituer dans les ghettos qu’ils avaient constitués notamment en Pologne, pour faire passer leurs décisions. L’U.G.I.F. servit aussi de couverture légale pour des organisations qui menaient des activités de résistance (service des faux papiers, etc.), et ainsi que l’atteste le journal de Raymond-Raoul Lambert qui dirigea cette institution, les directions de l’U.G.I.F. refusèrent de représenter la population juive auprès de Vichy et des autorités d’occupation, sauf dans le domaine de l’assistance.
Dans un «Appel pour la mémoire de la Résistance des Juifs de France», la Revue La lettre des résistants et déportés juifs (n°19, 1994) rappelle les noms des nombreux mouvements de résistance : Solidarité, l’Union des femmes juives, l’Intersyndicale juive (C.G.T.) qui se sont regroupées au printemps 1943, au sein de l’Union des Juifs pour la résistance et l’entraide (U.J.R.E.), le Comité Amelot, les Eclaireurs israélites – Sixième et Maquis – , l’Armée juive (O.J.C.), l’Union de la jeunesse juive, les groupes de combat de l’U.J.R.E., les F.T.P.-M.O.I.-Deuxième Détachement, la 35ème Brigade Marcel Langer, Carmagnole-Liberté, et la Milice patriotique juive. L’Appel se poursuit par cette réflexion « sur le sens profond de la résistance juive en France, ses motivations patriotiques mais aussi celles qui furent essentiellement juives et qui lui permirent de jouer le rôle qu’on connaît, par l’aide morale, politique et pratique apportée à la collectivité juive, afin d’échapper, en passant dans la clandestinité, aux déportations, à la mort ». Lucien Lazare rappelle la définition que l’Armée Juive (A.J.) donnait de ses buts : « action de toutes formes contre les forces allemandes d’occupation ; sauvetage des Juifs d’Europe ; recrutement et acheminement de volontaires vers la Palestine ou les Forces Françaises Libres et autres armées alliées ; combat contre notre seul ennemi : les Allemands ». Des Juifs combattirent également dans des formations générales communistes, socialistes ou gaullistes. Comment parler alors de cette grande diversité des engagements ? Renée Poznanski nous invite à cette réflexion : « Entendue comme la résistance des Juifs de France, elle (la résistance juive) est inscrite dans le pluralisme qui caractérise l’identité juive à l’époque moderne et de ce fait, ne craint ni les contradictions internes, ni la confrontation avec la résistance générale, une confrontation qui peut nous en apprendre autant sur le judaïsme de France et sa condition à cette époque que sur la société française dans son ensemble ». Il est un fait, comme l’explique Adam Rayski, que « l’impact des récits et événements de Varsovie a trouvé un écho dans la résistance juive et a sans doute accéléré le processus d’unité des organisations juives qui aboutit en juin 1943 à la Constitution du Comité Général de Défense, puis au début de l’année 1944, à la fondation du C.R.I.F.qui rapprocha pour la première fois en France, Juifs immigrés et Israélites français »
Mais cette expérience de la diversité « qui ne craint pas les contradictions internes » et de l’unité qui se constitue ou se renouvelle dans des situations inédites et à travers les bouleversement de l’histoire mondiale, n’est-elle pas proprement l’expérience juive à travers les siècles ? L’existence juive s’est poursuivie dans le monde malgré les tentatives de dissolution dans l’universel, malgré les exils, malgré les tentatives d’anéantissement moral ou physique. Particularisme qui ne se réduit pas à l’opacité d’une identité fermée sur elle-même puisque les Juifs viennent d’horizons du monde différents ; expériences multiples venues des échanges et confrontations avec les peuples du monde mais qui ne se laissent pas absorber dans le brassage des civilisations. La multiplicité de l’engagement des Juifs dans la résistance n’est-elle pas révélatrice de la diversité et de l’unité du peuple juif à travers l’histoire ?
« Une même pensée orientait partout l’activité des organisations clandestines juives et des combattants juifs : la conviction qu’ils ne luttaient pas pour leur seule existence, mais pour l’honneur et l’avenir de la nation juive, pour l’annihilation de l’hitlérisme et pour la liberté de l’Europe et du monde.»
Ber Mark
D’un pays à l’autre de l’Europe, H.Bulawko propose, à partir du catalogue de l’eition permanente présentée par le Centre de Documentation Juive Contemporaine de Paris, une évocation de la participation des Juifs à la Résistance :
ALLEMAGNE
Herbert Baum, jeune communiste, crée un groupe de résistance juive en 1940, regroupant des militants communistes, socialistes et sionistes. En mai 1942, incendie d’une eition de propagande nazie à Berlin. Le groupe est démantelé et il n’y eut que deux survivants.
Le groupe du camp de Sachsenhausen affronta les SS., le 22 octobre 1942 sur la place d’appel.
Le réseau de Werner Scharff, jeune juif berlinois qui s’évada du camp de Théresienstadt, et créa un réseau de résistance regroupant juifs et non juifs. Il s’attacha à assurer le sauvetage des Juifs cachés en Allemagne. Le groupe fut démantelé et les militants mis à mort.
BELGIQUE
Un « Comité de Défense des Juifs » fut créé, qui travailla avec la résistance belge. Les militants sionistes, communistes, bundistes, jouèrent un rôle marquant. Le « Mouvement national belge » comptait une brigade juive, ainsi que les « Partisans armés ».
La nuit du soulèvement du ghetto de Varsovie, un groupe de partisans juifs fit stopper un train de déportés parti en direction d’Auschwitz.
BULGARIE
Il faut particulièrement noter l’aide de la population et des autorités de ce pays qui réussirent à enrayer les déportations.
Parmi les noms cités : Violetta Yacova combattante dans une groupe chargé de châtier les traîtres ; Menahem Papo, responsable communiste juif, qui fit sauter les installations militaires à Roussé, sur le Danube.
GRECE
Participation des Juifs à des formations de partisans spécialisés dans des opérations de sabotage.
HONGRIE
Lors des déportations massives (450 000 Juifs hongrois périrent dans les camps de la mort), d’importantes entreprises de sauvetage eurent lieu. Il faut citer le nom d’Hanna Senesz, poétesse de la terre d’Israël, qui fut parachutée en Hongrie pour organiser le sauvetage. Elle fut arrêtée et fusillée. Raoul Wallenberg, consul adjoint de Suède, sut arracher des milliers de Juifs aux griffes des nazis. Après la guerre, convoqué par les autorités soviétiques, il disparut. Malgré des campagnes internationales pour le retrouver et le sauver, on ne sut pas ce qu’il advint de lui. Quelques témoignages de rescapés du goulag ont évoqué son nom et sa présence dans les prisons soviétiques.
ITALIE
Le professeur Eugénio Colorni fut à la tête du Comité militaire du Parti Socialiste italien. Eugénio Curiel, jeune agrégé organisa le Front de la Jeunesse. Mario Jacchia dirigea l’Etat-major des Partisans en Emilie.
Au printemps 1944, le Commandant-partisan Vito Volterra attaque le camp de concentration de Servigliano et délivre les détenus juifs et non juifs. Enzo Sereni est parachuté depuis Israël. Arrêté, il fut déporté à Dachau. Franco Cesena, le plus jeune des partisans, tomba à l’âge de 13 ans.
DANEMARK ET NORVEGE
La Résistance danoise organisa le sauvetage de la plupart des Juifs du pays menacés par la déportation. Des bateaux de pêcheurs les acheminèrent vers la Suède. Ceux qui purent gagner la Grande-Bretagne rejoignirent les armées alliées.
PAYS-BAS
Le 25 février 1941, il y eut une grève générale dans le pays : première et unique action massive et populaire organisée en Europe occupée en faveur des Juifs.
Des Juifs hollandais créèrent des groupes de sauvetage et participèrent aux combats de la Résistance. Certains rejoignirent l’Organisation juive de combat (O.J.C.) en France dont il formèrent le «groupe hollandais».
POLOGNE
La Pologne que les nazis voulurent rayer de la carte du monde, fut le lieu des camps d’extermination : Birkenau-Auschwitz, Tréblinka, Maïdanek, Sobibor, Chelmno, etc. C’est aussi sur cette terre que les Allemands fabriquèrent des ghettos dont le plus grand, celui de Varsovie, est entré dans l’histoire comme symbole de la Résistance juive.
Le Ghetto de Varsovie compta, à un moment, plus de 500 000 Juifs. Au début de l’année 1943, il ne restait plus après les déportations, que 50 000 personnes. L’Organisation juive de combat, regroupant des détachements sionistes, bundistes et communistes prépara le soulèvement. La révolte éclata le 19 avril 1943 et opposa durant plusieurs semaines les résistants à 2000 soldats allemands et auxiliaires. Le général SS. Stroop dut employer des tanks, de l’artillerie, des lance-flammes, pour détruire le ghetto, maison après maison, bunker après bunker. Les rares survivants poursuivirent le combat dans les forêts. Le jeune commandant de l’O.J.C., Mordekhaï Anielewicz, se donna la mort, le 8 mai 1943, pour ne pas tomber dans les griffes des nazis. Parmi les noms restés célèbres, il y a le pédagogue Janusz Korczak, l’historien Emmanuel Ringelblum,…
Il y eut d’autres révoltes à Vilna, Bialystock, Lachva et aussi dans les camps, à Treblinka, Sobidor, Auschwitz, … Au début du mois d’octobre 1944, eut lieu la révolte du Sonderkommando du camp d’Auschwitz. Ces hommes étaient chargés de brûler les corps des victimes des chambres à gaz. Régulièrement, ils étaient aussi exterminés afin qu’aucun témoignage ne subsiste de cette oeuvre de mort. Notons le récit fait par un rescapé du Sonderkommando transféré au camp de Buchenwald et rapporté par Georges Semprun, dans son livre L’écriture ou la vie.
Le soulèvement eut lieu le 7 octobre 1944, les révoltés incendièrent un crématoire et attaquèrent les SS. La révolte fut terriblement réprimée.
TCHECOSLOVAQUIE
Dans le camp-ghetto de Theresienstadt, une organisation de résistance vit le jour.
Un comité de sauvetage organisa les quelques rares évasions des camps de Pologne. Au printemps 1944, des jeunes Tchécoslovaques (S.Lederer, A.Wetzler et W.Rosenberg) parvinrent miraculeusement à s’échapper d’Auschwitz et s’employèrent à transmettre des informations aux Alliés. on sait que des informations parvinrent à Londres et Washington. Des documents photographiques ont été trouvés par la suite au Pentagone. Mais il n’y eut pas de réaction des Alliés.
URSS
Les autorités avaient rendu possible la création d’un Comité Juif Antifasciste animé notamment par le metteur en scène et artiste Chlomo Mikhoëls, l’écrivain Ilya Ehrenbourg, les écrivains et poètes yiddish : Itzik Fefer, Peretz Markich, Leib Kvitko, David Bergelson, Der Nister, David Hofstein, etc. Des délégations furent envoyées à l’étranger, notamment en Palestine pour stimuler l’effort de guerre.
La participation des Juifs aux formations de partisans fut particulièrement importante en Biélorussie, Lituanie et en Ukraine.
YOUGOSLAVIE
Deux organisations sionistes jouèrent un rôle prépondérant : les «Hachomer Hatzaïr» de Belgrade et l’association culturelle «Matadja» de Sarajevo.
Beaucoup combattirent dans des formations communistes : Moshe Pijade était le bras droit de Tito.
Il faut citer enfin le rôle de grandes organisations juives : le Congrès Juif Mondial dont les représentants travaillaient à Genève, Stockholm et Lisbonne ; l’Agence Juive installée particulièrement en Turquie ; la H.I.A.S. (Oeuvre d’Assistance aux Emigrants ; le JOINT (American Joint Committee : oeuvre américaine d’assistance travaillant un peu partout dans le monde) ; l’O.R.T., etc.
La poésie comme témoignage
«Les mots ne sont peut-être pas à la mesure de la chose », écrit Rachel Ertel dans un admirable livre, Dans la langue de personne : poésie yiddish de l’anéantissement, car « devant la folie de l’histoire, devant l’anéantissement, devant l’opacité de cet événement, la raison se trouve désarmée, impuissante. La poésie devient l’unique mode sur lequel puisse se dire l’inconnaissable ».
« Quelle est l’oreille qui entend encore ce que les lèvres n’énoncent pas ?»
(Leizer Aïchenrand)
Dans les camps, dans les ghettos en flammes, dans les attentes terrifiantes, ils écrivaient en yiddish : « mon silence sera celui de cette langue, du yiddish : je nomme ainsi ma langue silencieuse… une voix de silence qui ne cesse de parler en moi… Le silence c’est la langue des morts entrée en moi »
(G.Wajcman)
« Tout le jour j’ai cherché une réponse dans la terre galeuse, dans le ciel de cendres. J’ai cherché la résonance entre chambre à gaz et Dieu. (… ) Je me vis soudain au milieu de la manufacture de Dieu (…) Et en moi résonna une voix et elle dit : dans cette matrice se trouve ton peuple disparu du jour d’en bas et de la nuit terrestre- Tout ton peuple est en Dieu».
(Aaron Zeitlin)
Poésie issue de l’extermination, qui parcourt sans trêve « ce chemin réservé à des fugitifs de fumée ». Parole de vérité et condition du témoignage. Seule la poésie pouvait ici « témoigner de l’indicible ». Semences de paroles jetées vers des « cieux vides et nus, cieux comme des déserts »
(Itzhok Katzenelson).
Et nous aujourd’hui qui sommes-nous, qui recevons les paroles lancées en ces temps-là vers des cieux muets ? Nous, comme la matrice où grandit cette semence…
Toutes les plaies que les becs de feu de la fureur humaine assènent au jour jamais ne cicatriseront. Personne n’a encore entendu ce que la fumée de corps brûlés dit ; Même le dernier cri du père qui est monté dans les rues de la folie personne n’a encore entendu. L’entends-tu ?
Leïzer Aichenrand Dos broït fun tzar (Le pain de douleur)
Dans les ghettos, raconte R.Ertel, à Vilno, Bialystock, à Lodz, «on collecte, on cache des documents existants, on cherche des témoignages. Dans le ghetto de Varsovie, Emmanuel Ringelblum crée un groupe de travail clandestin, un véritable centre d’archives sous le nom de Oneg Shabbat (délice du Shabbat) : tout le monde écrivait, journalistes et écrivains, instituteurs, travailleurs sociaux, jeunes et enfants, Lors de l’extermination des Juifs de Varsovie presque tous les documents furent détruits. Seul le contenu des archives de l’Oneg Shabbat a été préservé. »
Qu’est-ce que la vie attend de nous?
Viktor Frankl, illustre psychiatre viennois déporté à Auschwitz, écrivit après sa libération : «Nous devons apprendre, et enseigner aux êtres désespérés qu’il ne s’agit nullement, au grand jamais, de ce que nous avons encore à attendre de la vie, mais qu’il s’agit uniquement de bien autre chose, de ce que la vie a encore à attendre de nous… on pourrait dire qu’il y a ici, à opérer un revirement, comme au temps de Copernic : nous n’avons plus à nous demander simplement quel est le sens de la vie ; nous devons sentir que c’est à nous-mêmes que s’adresse cette question ; nous devons vivre comme questionnés par la vie, tous les jours, à toutes les heures – et nous devons répondre… par des actes et un comportement appropriés», et «Lorsque le destin, concret, impose une souffrance à l’homme, et parce qu’il l’impose, celui-ci devrait voir, dans cette souffrance, une tâche absolument unique… Mais dans la manière dont lui-même, frappé par ce destin, porte cette souffrance, réside pour lui une possibilité d’accomplissement unique ». Dans ce livre bouleversant, Un psychiatre déporté témoigne, V.Frankl écrit encore que ce sont des paroles de Spinoza : «Voir les choses sous un aspect d’éternité» qui l’ont secouru : «alors tout ce qui me tourmente et m’obsède tellement se trouve objectivé, tout cela est vu et décrit depuis une plate-forme intérieure plus élevée».
Le Centre de Documentation juive contemporaine de Paris (C.D.J.C.)
C’est en 1943, en pleine clandestinité due à l’occupation, que I.Schneersohn a pris l’initiative de réunir à Grenoble, le 28 avril 1943, près de 40 représentants de diverses organisations juives qui ont décidé la fondation d’un Centre de documentation et ont désigné le premier «Comité» de direction composé de sept personnes : deux représentants du Consistoire, deux de la Fédération des Sociétés juives de France, un de l’O.R.T., un du Rabbinat et I.Schneersohn, Président. I.Schneersohn avait mis de longs mois pour convaincre de la nécessité de ce Centre. Le débat qui traversait alors la communauté, était celui-ci : quand on est tellement fragile et menacé, faut-il employer aussi nos forces à sauver des papiers ? Comme dans les ghettos de Pologne, le Centre fut créé dans la pensée de transmettre le témoignage aux générations à venir. En liaison clandestine avec les organisations juives et celles de la résistance française générale, ce Comité a pu se procurer et conserver de nombreux documents concernant la situation des Juifs en France sous Vichy et sous le joug nazi, et cela malgré la disparition en déportation de plusieurs de ses membres et collaborateurs. C’est ainsi qu’à la libération de la France, il existait déjà une équipe très active et résolue à conserver le maximum des matériaux se rapportant au drame vécu par les Juifs d’Europe à l’époque du nazisme. Ces documents furent produits lors des procès des criminels nazis à Nuremberg, après la guerre. Aujourd’hui le Centre de Documentation juive contemporaine qui abrite le Mémorial du Martyr Juif Inconnu, est un haut lieu de la recherche internationale.
Il y eut des Juifs dans les F.F.L. à Londres, dans les troupes qui menèrent le combat à la suite du débarquement en Algérie et bien sûr dans les maquis. Roger Berg raconte la reconstitution des troupes françaises à Londres sous les ordres du Général de Gaulle : « quel accueil le commandant suprême de la force française réservait-il aux volontaires juifs ? André Weil-Curiel affirme qu’il aurait dit : J’attendais la France des cathédrales, et c’est la France des synagogues qui arrive !».
Lorsque les Juifs voulurent s’engager dans les forces combattantes en Algérie, ils ne le purent pas tout d’abord, parce que le décret Crémieux (qui leur accordait la nationalité française depuis la fin du XIXè siècle) abrogé par Vichy, n’avait pas été restauré par les Forces françaises. Il fallut attendre l’arrivée de Ch.de Gaulle pour que, quelques temps plus tard, le décret soit rétabli et que les Juifs puissent s’engager dans les forces armées.
Dans les rangs de la Première Division française, écrit R.Berg, de nombreux Juifs participèrent en Tunisie, Italie, France et Allemagne aux combats de la Libération. Il cite également la Treizième Demi-brigade de la Légion étrangère des volontaires étrangers formés à Barcarès qui s’illustra à Narvik, en Afrique et à Bir-Hakeim sous les ordres de Pierre Koenig. Beaucoup de travailleurs internés dans les camps de travail en A.F.N. s’évadèrent et rejoignirent « les F.F.L. qui en 1945, terminèrent leur avance au « nid d’aigle » de Hitler, à Berchtesgaden ».
L’enquête de l’Union des Engagés volontaires et Anciens Combattants juifs (1959) évalue à plus de 20 000 le nombre d’enrôlés juifs sur divers fronts entre 1939 et 1945.
Henri Bulawko écrit que l’on peut estimer à 1 500 000 personnes le nombre de soldats juifs enrôlés dans les armées alliées à l’ouest et à l’est et des résistants, partisans et maquisards participant au combat contre le nazisme.
Si l’on songe que les archives des pays de l’Est viennent de s’ouvrir à la recherche, une nouvelle page de l’histoire de l’Europe reste à écrire.
Itzhac Schipper qui mourut à Maïdanek, avait dit en 1943, à A.Donat : «Tout dépend de ceux qui transmettront notre testament aux générations à venir, de ceux qui écriront l’histoire de cette époque. L’histoire est écrite en général par les vainqueurs… Mais si c’est nous qui écrivons l’histoire de cette période de larmes et de sang… qui nous croira ?». Comment écrire l’histoire ? Lors d’un récent colloque international organisé par le Centre de Documentation Juive Contemporaine de Paris et rassemblant les plus grands Centres d’Archives d’Europe, d’Israël et des Etats-Unis sur l’histoire de la Shoah, l’historien Saul Friedlander a ouvert la perspective, à partir de ces évènements contemporains, d’une nouvelle approche dans la recherche historique. L’histoire, disait-il, a toujours été écrite du point de vue des exécuteurs ; l’histoire de la Shoah nous engage à une autre approche, l’écriture et la recherche de chaque nom, le récit de chaque destinée individuelle. Si l’on songe que les archives des Pays de l’Est viennent de s’ouvrir, c’est un champ immense qui s’offre aujourd’hui à la recherche internationale. Le C.D.J.C. a mis en oeuvre un Guide international des archives sur la Shoah. S’agit-il d’une inversion de l’écriture de l’histoire ? Avant on aurait écrit l’histoire du point de vue des exécuteurs, c’est-à-dire en privilégiant la dimension de l’action, et maintenant on l’écrirait du point de vue des victimes, en privilégiant la passion ? L’écriture de cette histoire précise nous engage peut-être à une réflexion sur l’Europe qui dépasse l’alternative conceptuelle de l’action et de la passion.
Qu’est-ce que l’Europe ? La résistance à la barbarie nazie et à l’oppression que cet état totalitaire exerça sur les peuples et sur une Europe qu’il voulait sans Juifs, se concrétise autour de valeurs ayant accompagné toute l’évolution historique et spirituelle de l’Europe. Si l’engagement patriotique fut fondamental, c’est aussi dans le monde de la résistance que l’idée fédéraliste européenne et l’espoir d’une Europe délivrée des guerres s’est développée, et ce sont d’anciens résistants qui, comme Hubert Halin, ont fondé en 1955, l’Union des Résistants pour une Europe Unie (U.R.P.E.). L’idée d’une Europe fédérée et unie s’est concrétisée dans des réalités économiques, sociales et politiques, mais comporte aussi une dimension spirituelle importante.
Que fut cet « esprit de résistance » ? L’Europe n’est pas le simple fait du déploiement des forces matérielles, ni du déterminisme des choses. L’Europe est aussi spirituelles. Elle réside dans l’ouverture de l’esprit créateur d’avenir qui prend sa source dans la littérature, la philosophie et aussi la religion. L’héritage spirituel de l’Europe provient de ce que les philosophes grecs définissaient comme « souci de l’âme ». Le philosophe tchèque Yan Patocka, auteur de la Charte des 77, écrit que le souci de l’âme libère un savoir sur la totalité du monde et de la vie, savoir qui est le fondement de l’héritage européen c’est-à-dire un non acquiescement au déclin. Il dit encore dans ses séminaires clandestins sur Platon et l’Europe : « L’homme en certaines circonstances est à même de faire du monde humain, un monde de vérité et de justice ». C’est aussi ce qu’écrivait en 1935-1936 et juste avant d’être chassé par les nazis, à cause de ses origines juives, le philosophe Edmund Husserl, en préambule à son oeuvre La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale : « C’est elle, la raison, qui donne sens de façon ultime à tout ce qui prétend être… Que l’homme perde cette foi,… il perd la foi en lui-même… L’humanité européenne porte en soi une idée absolue ».
L’inspiration des nations européennes est également celle des religions du livre dont la source se trouve dans la Bible, et qui présentent l’Alliance entre l’homme et Dieu – le Tout Autre – comme le fond des relations humaines et intercommunautaires. Car l’autre homme échappe à toute prise identificatoire, et par l’infinité de son retrait, il manifeste le divin. La rencontre de l’étranger, de l’autre, celui qu’Emmanuel Lévinas nomme « le rêveur d’avenir », est ainsi chaque fois la naissance d’un monde nouveau.
La multiplicité des mouvements de résistance au nazisme, leur diversité de pensée et d’action, leur refus unanime de la « bête immonde » et de l’image statufiée et monolithique du führer qui se prenait pour un dieu, témoignent de la vocation de l’Europe : pouvoir créateur de l’esprit et ouverture à l’autre.
Monique Lise Cohen et Valérie Ermosilla
D’après le catalogue de l’exposition : Les Juifs dans la Résistance.
Bibliothèque Municipale de Toulouse, 1997
L’activité des organisations juive en France sous l’Occupation. Paris, C.D.J.C., 1983.
ARENDT, Hannah
Les origines du totalitarisme : sur l’antisémitisme. Paris, Calmant Lev, 1984.
BERG, Roger
«Juifs de France, combattants de la Seconde Guerre mondiale : 1939-1945 », in Revue Pardès, n°12. Paris, Cerf, 1990.
BULAWKO, Henri
Les Juifs face au nazisme. Paris C.J.M. et C.R.I.F., 1983
Le soulèvement du Ghetto de Varsovie. Paris, C.J.M., 1983.
«La Choa : dossier spécial réalisé sous la direction du Rav R.Chekroun». Revue Kountrass (Jérusalem, BP 5553), n°17, 1989.
COHEN, Asher
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